Aimé Robert BIHINA : « Le citoyen veut retrouver dans nos journaux le reflet de sa vie »

13 Fév 2021 | ACTU de l'UPF CM | 0 commentaires

Journée internationale de la liberté de la presse. Symposium de Kribi, 03 Mai 2019.
Thème : Accompagnement des politiques publiques pour l’émergence du Cameroun : que peut la presse ?
Par Aimé Robert BIHINA, Président UPF-Cameroun et vice-président international

Monsieur le Préfet de l’Océan, monsieur le Directeur Général, distingués personnalités, je ne saurais entamer mon exposé sans, au préalable, m’acquitter d’un devoir. En ma qualité de président de la section camerounaise de l’Union Internationale de la Presse Francophone et vice-président international,

Je voudrais au nom de tous les journalistes, ici présents, exprimer toute notre gratitude aux autorités administratives et politiques de la ville de l’Océan avec au premier rang, Monsieur le Préfet de l’Océan, dont la présence apporte toute l’onction républicaine à notre initiative, je voudrais aussi remercier nos partenaires stratégique, le Port Autonome de Kribi, la Direction Générale des Douanes. Cette page de remerciement s’étend aussi aux élites de la Région du Sud qui nous auront accompagné dans ce voyage : le ministre des Forêts et de la Faune, Jules Doret Ndongo, le Directeur Général de la CRTV, Charles Ndongo, le sénateur Grégoire Mba Mba, et Le Directeur Général Adjoint de KCT, Philemon Mendo. Permettez-moi enfin de remercier l’auguste assistance devant nous. Merci d’avoir honoré de votre présence notre invitation en ce 3 mai, le seul jour dans l’année où les journalistes font la Une et parlent d’eux-mêmes, après avoir passé le reste de l’année à parler des autres en bien comme en mal.

Merci donc mesdames et messieurs, de partager la une avec nous  par cette belle matinée le temps de ce symposium sur le thème : L’accompagnement des politiques publiques pour l’émergence du Cameroun : que peut la presse ?

Il convient toujours avant toute réflexion de suivre le conseil d’Emile Durkheim qui postule que « les mots de la langue usuelle comme les conceptions qui les expriment prêtent toujours à confusion. Aussi est –il nécessaire avant leur utilisation de procéder à leur définition ».

Nous nous devons d’abord de définir nos mots clé : émergence, politiques publiques, et presse
Selon les économistes, un pays émergent est un pays dont le PIB par habitant est certes inférieur à celui des pays développés, mais qui connaît une croissance économique rapide, et dont le niveau de vie ainsi que les structures économiques et sociales  convergent vers ceux des pays développés avec une ouverture économique au reste du monde, des transformations structurelles et institutionnelles de grande ampleur et un fort potentiel de croissance.
Un certain nombre d’indicateurs sont donc associés à l’émergence : par exemple un taux de scolarisation à 95%, un taux d’alphabétisation à 85%, un accès aux soins de santé à 81%, un aménagement du territoire qui projette  140 kilomètres pour mille habitants.

Au Cameroun, l’émergence vise quatre objectifs généraux à savoir : réduire la pauvreté à un niveau socialement acceptable, devenir un pays à revenu intermédiaire, atteindre le stade de Nouveau Pays industrialisé, renforcer l’unité nationale et consolider le processus démocratique

Les politiques publiques au Cameroun tiennent, comme vous le savez si bien, en un socle depuis 2010 : le Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi. C’est le cadre de référence de la politique et de l’action gouvernementale ainsi que le lieu de convergence de la coopération avec les partenaires techniques et financiers en matière de développement. Avec comme vision partagée du développement : faire du Cameroun un pays émergent, démocratique et uni dans sa diversité. Après la mention peut mieux faire du DSCE en cours, le DSCE de deuxième génération est en préparation pour la période 2O2O-2O30.

La presse : elle peut se donner à comprendre ici à travers ses différentes fonctions résumées par Yves Agnès ancien Directeur Général du Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes, dans son ouvrage Manuel de journalisme, il distingue entre autres fonctions de la presse, une fonction de service, une fonction de rêve et de distraction de la presse, une fonction d’identification et d’intégration, une fonction miroir et une fonction critique.

La définition sommaire de ces concepts clés de notre thème peut donc nous permettre de le reformuler, plutôt que de nous interroger : accompagnement des politiques publiques pour l’émergence du Cameroun : que peut la presse ? On peur reformuler ainsi : quelles fonctions la presse peut-elle remplir pour que le DSCE atteigne ses objectifs de faire du Cameroun un pays industrialisé ayant réduit considérablement la pauvreté, démocratique et uni dans sa diversité.
Que peut donc la presse ? La réponse coule de source, simple surtout pas simpliste : il faut que la presse remplisse ses fonctions.

Il faut par exemple que la presse remplisse sa fonction de rêve à travers des rubriques qui invitent au voyage, à la découverte de notre beau pays. Nous séjournons par exemple en ce moment dans cette belle cité balnéaire Kribi. Combien de reportages les hommes de médias consacrent-ils à  cette destination et booster ainsi le tourisme et son effet multiplicateur sur la croissance.
Il faut aussi que la presse remplisse sa fonction miroir. Le lecteur d’un journal, le téléspectateur, l’auditeur veut qu’on lui parle de lui.

Le citoyen veut retrouver dans nos journaux le reflet de sa vie, de ses préoccupations, ce faisant la presse remplit bien sa fonction et se fait l’écho du sociologue Alfred Sauvy qui disait écrivait, « bien informés, nous sommes des citoyens, mal informés nous sommes simplement des sujets ». C’est également ici qu’on doit retrouver la presse dans une fonction d’agenda setting. C’est-à-dire la capacité d’inscrire dans l’agenda socio-politique des thèmes qui structurent la pensée collective.

Ainsi comme l’écrivait Jacques Gerstle,  la presse va indiquer à l’opinion à quoi penser, à défaut de leur dire ce qu’il faut en penser. Cette fonction d’agenda setting est très importante pour une presse qui veut jouer son rôle de phare de la société, d’éclaireur des consciences. La question est dès lors qu’est ce qui est important pour notre Nation, qu’est ce qui mérite d’être érigé en cause nationale, quel est projet mobilisateur derrière lequel nous devons appeler tous les camerounais ? Voilà des champs dans lesquels la presse doit s’investir et s’éloigner de la tentation du suivisme, de la paresse et de la facilité sur des sujets accessoires ou dérisoires qu’on retrouve malheureusement dans tous les organes dans une circulation circulaire de l’information pour reprendre la terminologie de Bourdieu.

Que peut encore la presse ? La presse peut remplir la fonction critique. Au risque de déplaire, une bonne presse ne peut pas seulement être là à dire que tout va bien, que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il y a une citation célèbre dans un recueil de journalisme : l’ennui naquit un jour de l’uniformité tiré d’un recueil de fable, intitulé « Les amis trop d’accord ». Dont il est bon que la presse apporte une dissonance dans une certaine bien pensance. Il est bon que la presse exerce son regard critique. Il faut que la presse traque la vérité des faits pour faire avancer la causer de l’émergence. Il faut que la presse fasse du fack cheking, par exemple comment on en est  qu’à 60 kilomètres de routes bitumées sur l’autoroute Yaoundé-Douala, en sept ans ?

Pourquoi l’hôtel du comice ne sera livré qu’après huit ans, malgré les instructions du Chef de l’Etat ? Nous avons un problème avec le cycle de nos projets. Ce qui en retarde l’impact. Il faut que la presse enquête, serve de Watch dog pour faire avancer la bonne gouvernance, l’obligation de résultat, la célérité dans le cycle des projets, qui sont entre autres des déterminants de l’atteinte de l’émergence. Tout peut se construire et se déconstruire autour du tryptique : publicisation, polarisation, politisation.

La presse doit pouvoir servir de piqure de rappel. Car lorsque l’on dit que nous voulons être émergents en 2035, on a l’impression que l’horizon est vraiment lointain mais certain. On en oublie que c’est dans 15 ans sensiblement. La question est donc au rythme où nous cheminons pouvons-nous être émergents dans 15 ans ? Le Chef de l’Etat lui-même, dans un message à la Nation, avait déjà eu à relayer  les doutes des partenaires au développement. Ce qui avait amené le Président de la République à lancer le plan d’Urgence Triennal , pour accélérer la croissance. Le plan d’urgence a-t-il eu cet effet recherché de rattrapage ? La presse doit en faire un sujet de fact checking
Que peut encore la presse ? La presse doit remplir sa fonction d’usage et de service. C’est vrai que dans toutes les écoles de journalisme, on sérine que l’information ce n’est pas le train qui arrive à l’heure ; mais le train qui arrive en retard. Que l’information ce n’est pas le chien qui mord un banquier ; mais l’information c’est le banquier qui mort le chien.

Donc à force de chercher partout le banquier qui mort le chien, la presse en oublie parfois que sa fonction est aussi d’informer simplement, de dire aux citoyens ce qui se passe dans leurs communes, leurs régions, leurs pays. Donc si le premier Ministre va inaugurer un hôtel Douala c’est une information, si la Douane a atteint ses objectifs c’est  c’est une information. Si le Port Autonome de Kribi enregistre ses premières recettes, c’est une information. Ce sont des indicateurs d’un pays qui tourne, qui avance malgré toutes les externalités négatives.

Dans le prolongement de cette fonction de service de la presse, prospère aujourd’hui un nouveau journalisme, baptisé le journalisme de solution. Né aux Etats-Unis, le journalisme  de solution encore appelé journalisme d’impact part du postulat que le journalisme a justement été bâti sur la chronique des trains qui arrivent en retard ; ne parlant presque pas des trains qui arrivent à l’heure.

Le journalisme de solution se présente donc comme une alternative au traitement traditionnel de l’information. Autrement, ne plus monopoliser l’attention avec ce qui ne marche pas, mais éveiller sa curiosité avec son engagement à travers des projets constructifs sur des initiatives porteuses d’innovation et de changement pour un monde meilleur.

Face au déferlement des mauvaises nouvelles dans un monde de plus en plus anxiogène, le journalisme de solution se pose en héros pour parler des solutions plutôt que des problèmes. Ce nouveau journalisme fait tant et si bien des émules qu’il a été institué depuis l’année 2012, la célébration de la journée dite, impact journalism day. C’est une opération médiatique qui réunit chaque année au mois de juin plus de 55 médias du monde pour partager du contenu de solutions.
En définitive, nous considérons que la presse est un instrument stratégique pour accompagner les politiques publiques pour l’émergence du Cameroun. Il ne faut donc pas céder à la tentation de snober, de minorer, ou d’ignorer la presse comme continue de le faire certains. Le faire c’est passer à côté d’une infinité de possibilités qu’offre la presse qu’elle relève de des médias traditionnels ou des médias numériques. Dans le monde de 2019, érigé en société de l’information, une société en voie d’hégémonisation de l’image la communication est omnipotente et omniprésente.

Ce qui n’est pas médiatisé n’existe pas. C’est ce que Jean Marie Cotteret appelle la légitimité cathodique  dans son ouvrage, gouverner c’est paraître : le pouvoir appartient aux plus apparents.

Nous en appelons donc à une véritable conversion des acteurs politiques et économiques. Vous ne devez plus seulement être des homo politicus et des homo economicus, vous devez aussi être des homo médiaticus
Je vous remercie

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